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Projection + transgression sur le terrain

Mon projet de maîtrise actuellement en cheminement intègre quatre lieux d’intervention, dont un terrain en forêt que j’ai finalement acquis en avril 2014.

Situé à Austin près de Magog en Estrie, le terrain a fait l’objet d’un exercice visuel retraçant les étapes et le contexte de son acquisition.

Deux étages en 3-D
Cette projection cartographique met en scène une maquette 3-D à l’échelle
1 : 80. Cette première échelle est la seule tenant compte de la réalité, car plusieurs éléments ajoutés ne respectent aucunement ce rapport. Ceci pour en quelque sorte nous forcer à fuir la réalité « sous-jacente » à l’acquisition d’un petit lopin de terre.

Ma première référence artistique pour ce travail vient de la ville invisible d’Eusapie d’Italo Calvino. Les habitants d’Eusapie ont construit sous terre une copie exacte de leur ville pour accueillir les morts. Les squelettes sont placés dans des lieux signifiants de leur existence terrestre. Calvino termine la description de cette ville en semant un doute : « En réalité ce serait les morts qui auraient construit l’Eusapie du dessus à la ressemblance de leur ville. [ ... ] il n’y a plus moyen de savoir lesquels sont les vivants et lesquels les morts1. »

J’ai retenu de cette lecture l’idée du sous terre, de l’étagement et du sous-jacent. Ma maquette sur deux étages nous fait donc voir au sous-sol la face cachée du droit de propriété. À la lumière d’un autre exercice sur la cartographie politique, c’est la partie non visible de l’espace cartographié. C’est la partie en dormance qui peut resurgir 30 ans plus tard!

Cette face cachée regroupe la paperasse juridique et légale inhérente à l’acquisition d’un bien immeuble selon la loi.

Transgression
Mais revenons à la surface et à l’évocation de la propriété terrestre, cette mythique notion de possession. Ce qui introduit ma seconde source d’inspiration soit l’oeuvre de l’artiste américain Gordon Matta-Clark. L’idée d’appropriation et de transgression contenue dans plusieurs projets de Matta-Clark m’a grandement intéressé. Ses préoccupations sont multiformes, passant de l’activisme à l’architecture jusqu’au politique.

Une première transgression est réalisée dans cette vidéo tournée sur le terrain avant son achat.
VOIR LA VIDÉO

Sous les strates
Labyrinthique est un qualificatif que j’associe volontiers à mon expérience d’accès à la propriété terrestre. Dans le projet que je présente ici, les fondations sont relatives à des notions de droit de propriété.

Sur la surface du dessus, la forme de tête évoque et transgresse le règlement municipal suivant (qui est véridique) :

ARCHITECTURE DES BÂTIMENTS (Municipalité d’Austin)
Les constructions et bâtiments ayant la forme d’être humain, d’animal, de fruit, de légume ou de wagon de chemin de fer, de tramway, d’archidômes, de demi-cylindres sont interdits. Il est toutefois permis pour les bâtiments agricoles des formes d’archidômes et de demi-cylindres.

Au final, cette maquette est une utopie qui est vouée à se composter dans la nature. En effet, tous les matériaux utilisés dans ce projet sont faits de matières non polluantes vouées à disparaître graduellement. Voici un inventaire de ces matériaux : papier, terre, argile, feuilles mortes, branches, pousses de conifères, colle de poisson, jute et cire d’abeille. Je marque encore une fois la présence de l’abeille, comme exploratrice du territoire, par un matériau brut et non filtré, la cire que j’ai récupérée chez Benoît, un ami apiculteur.

Ma projection ultime visait à abandonner la maquette sur le terrain dès que j’en serais propriétaire. C’est chose faite depuis peu (printemps 2014).

  1. Italo Calvino, Les villes invisibles, Paris, Gallimard, 2013, p. 136.